La transformation des entreprises ne se fera pas sans de nouvelles façons de voir et de fonctionner. Le jeudi 10 avril 2014, le Club DéciDRH organisait une journée décalée sur le futur des modes d’organisation et du management pour incarner le changement et ouvrir la voie à de nouvelles pistes de réflexions.
Au sein de la nouvelle tour EQHO à Courbevoie, l’événement a pris place dans un lieu convivial, moderne, et expérimental, l’immeuble ayant été conçu pour faciliter le travail collaboratif et adapter les espaces de travail en fonction du type de management et des besoins des salariés.
Le XXIème siècle amène à penser le travail différemment et les espaces professionnels doivent être le reflet des nouveaux modes d’organisation du travail et des nouvelles façons de manager. Spacieux, clairs et modulables, les bureaux ambitionnent aujourd’hui de refléter l’harmonie du savoir travailler ensemble et de s’adapter aux besoins d’épanouissement professionnel de chaque individu. Influencés par la génération Y et l’introduction des nouvelles technologies, notamment les réseaux sociaux, le management a évolué et laisse la place aux individualités tout en favorisant une performance collective.
Flore Pradere, responsable de la Recherche Entreprises chez Jones Lang Lasalle, explique : « Nous avons mené une enquête prospective pendant deux ans et avons constaté que les bureaux sont des outils au service du management. La théorie de l’énaction, selon laquelle l’espace façonne les usages, prouve que l’environnement a un impact direct sur les façons de travailler. Aujourd’hui, de nombreuses études montrent que les salariés apprennent souvent dans des contextes informels et imprévus. Les bonnes pratiques sont liées à la socialisation, grâce à des lieux de vie et de rencontres au sein de l’entreprise, à la liberté de choisir l’environnement de travail qui convient, et à la permissivité qui consiste à faciliter les interactions et la co-création. »
Le changement provient également et surtout du management, qui permet de maintenir le lien, et, a vocation à privilégier le sens vers un bien commun.
Il faut prendre du recul, comparer notre évolution en prenant pour repères les enseignements ancestraux. Leur étude permet d’y voir plus clair pour la conduite du changement dans une société moderne, empreinte de nouvelles technologies et dans laquelle le temps accéléré induit des remises en question rapides.
L’apparition du Web 2.0 a en effet bouleversé les attitudes et le rapport à l’autre.
Sébastien Damart, professeur spécialiste de l’histoire du management et de la théorie des organisations à l’Université de Rouen, trouve le terme galvaudé et revient sur ses limites. Vaste réseau d’information qui délivre de nombreux services, le Web 2.0 permet d’accélérer les échanges à plusieurs en introduisant les liens « many-to-many ». Cependant, avance le professeur, « en matière de management, les enjeux sont nombreux. Le plus difficile de nos jours est de trouver la frontière entre le « one-to-many » et le « many-to-many ». Il faut ensuite savoir mettre en place un community management efficace pour tirer profit des communautés, valoriser le travail effectué, donner de la lisibilité à des organisations plus complexes ou encore savoir mixer les compétences pour en tirer le meilleur. »
Il est évident que l’introduction des nouvelles technologies ne doit pas se faire au détriment du management et de la construction d’échanges réels et constructifs, qui sont la source de la création de valeur dans l’entreprise.
Olivier Lajous, président du Club DéciDRH, rappelle : « Quoique nous inventions, nous sommes avant tout des êtres humains et il faut se rappeler l’importance de la vie, du rapport à l’autre, au temps et à l’espace. Il nous faut trouver le comment vivre ensemble. » Il prend pour exemple les Pygmées. Population la plus ancienne sur terre, elle a survécu grâce à la transmission de ses connaissances profondes de l’univers et des plantes. « Les Pygmées ont trouvé la clé « du vivre en équipage », précise Olivier Lajous, Ils vivent libres mais « avec ». Quand un Pygmée vient au monde, on lui enseigne qu’il a une tête et un ventre et les connaissances sont transmises par le « fablochant ». Ils pratiquent la polyphonie pour créer une harmonie de groupe. Le but est de mettre son son en harmonie avec les chants de la tribu et, ainsi, d’y prendre ou d’y trouver sa place. »
Eric Julien, géographe, fondateur et président de l’association Tchendukua, renchérit : « Une des premières responsabilités managériales c’est de susciter de la joie, l’enthousiasme, l’envie. Nous sommes des êtres d’énergie et devons remettre au cœur de nos réflexions le sens. » Il faut une finalité et un sens partagés sans pour autant occulter la liberté de chacun. Les Indiens Kogis ont suffisamment développé une vision commune pour ne pas avoir besoin de chef pour les guider. « Maurice Faure, le ministre français des Affaires étrangères, qui a signé le Traité de Rome en 1957, disait que ce n’était pas le contenu le plus important mais les méthodes de travail, les processus, les liens qui se créaient entre les hommes, pour aboutir à un accord, développe le géographe, Autour de la table, les signataires du Traité étaient là pour trouver une solution. C’est la négociation elle-même qui a débouché sur une issue. Le résultat imprévisible a été formidablement porteur d’espoir. »
Comment procéder alors nos sociétés modernes, notamment au sein de nos entreprises, pour développer un sens et une finalité partagés ?
Sophie Gironi, directrice de la communication chez Gandi.net, est venue témoigner de son expérience au sein de la start-up spécialisée dans l’enregistrement de noms de domaine sur Internet. L’équipe dirigeante a misé sur chaque leader pour trouver une direction et harmonie communes. Elle explique : « Nous avons 20% de croissance par an et notre chiffre d’affaires 2013 a été de 20 millions. Nous employons 90 personnes et attirons des profils divers et variés qui ont de belles personnalités. Souvent, les personnes qui viennent à nous « ne rentrent pas dans les cases ». Notre directeur juridique est par exemple un ancien médecin. Notre management est basé sur le leadership naturel et l’implication des salariés. » La start-up a permis à ceux qui le désiraient de prendre le leadership et a mis en place un comité de pilotage qui les rassemble pour travailler sur différents projets. Les équipes techniques continuent à être impliquées en soumettant leurs idées à ce comité.
Workshops collaboratifs et interactifs
Fin de matinée, le Club DéciDRH a organisé des workshops, regroupant une dizaine de personnes et animés par des DRH et des experts. Dans une ambiance conviviale autour d’un café, ils visaient à trouver des solutions pour plusieurs sujets actuels de préoccupation.
Les workshops ont permis aux DRH de se livrer et d’essayer de trouver des issues à leurs problèmes en matière de gestion des ressources humaines. Les différentes thématiques abordées étaient identifiées comme incontournables et stratégiques pour le devenir des organisations.
Après la pause déjeuner, la restitution des travaux s’est accompagnée d’une participation de l’ensemble de l’assemblée grâce au réseau collaboratif mis en place par Wisembly.
Les participants inscrits à l’atelier 1 ont réfléchi à la façon d’expérimenter les pratiques juridiques au monde du travail. Avec le développement du télétravail ou du travail à distance se pose la question de savoir si les nouveaux modes de travail alternatifs doivent être envisagés comme de nouvelles façons d’organiser le travail. La conclusion est qu’ils constituent un moyen et non un but et il est important de mettre en place des normes collectives ou collaboratives.
L’atelier 2 est revenu sur la place des réseaux sociaux d’entreprise dans l’amélioration des pratiques de management. Les débats ont abouti sur le fait que le changement et la transformation de la culture de l’entreprise doivent être initiés par la Direction pour embarquer l’ensemble des collaborateurs.
L’atelier 3 s’est penché sur l’importance des espaces de travail pour répondre aux nouveaux modes d’organisation et de management. Trois notions ont été approfondies : l’agilité qui favorise la diversité et la mobilité, la prise en considération de l’humain qui doit évoluer dans un lieu agréable et propice aux échanges, et l’optimisation de l’efficacité. Il faut créer par conséquent des environnements qui suscitent l’envie et donnent accès à de multiples outils.
L’atelier 4 a traité du sujet « De la collaboration au réseau, les impulsions ou inhibitions pour la RH ». Pour répondre aux nouvelles attentes de transparence et de communication, le groupe a beaucoup débattu de l’impact des réseaux sociaux sur la réputation de l’entreprise. Les nouvelles générations n’ont pas toujours conscience des conséquences de leurs publications concernant leur entreprise, même sur les réseaux privés. Il est important pour les organisations de mettre en place des actions de sensibilisation.
Les participants de l’atelier 5 ont planché sur l’utilité des SIRH modernes pour accompagner l’évolution des organisations. Les nouveaux SIRH sont facilitateurs car ils permettent de conduire une vraie stratégie au sein de l’entreprise en facilitant la gestion administrative. Cependant, leur approche est parfois complexe et il faut mettre en place des interfaces intuitives qui facilitent l’accès aux données.
« Un mot pour définir le leadership de demain », tel fut le sujet épineux de l’atelier 6. Avoir de la conviction, du courage, accepter ses erreurs, rester authentique, être engagé ou encore faire don de soi, ont été les principales qualités retenues. Le leadership se donne, se mérite. Le leader sera donc un fédérateur, un facilitateur, un expert, qui permettra de relier les individus pour qu’ils accomplissent un dessein commun.
Le sourcing a été abordé dans l’atelier 7 autour du ROI des actions menées. Comment identifier le bon candidat ? L’entreprise a des rêves, fondés souvent sur la possession d’un diplôme, mais se confronte souvent à la réalité du vécu, de l’expérience, de la compétence du candidat. Le ROI est déterminé par le nombre de candidatures reçues, le nombre d’embauches effectives et le potentiel des candidats à évaluer. Dans les prochaines années, les outils ont pour objectif d’améliorer le renseignement des compétences par filières de formation, d’évaluer les « soft skills » et le potentiel des candidats et d’être capables de montrer leur degré d’engagement.
Enfin, l’atelier 8 a insisté sur les notions d’engagement et de motivation au cœur du management d’aujourd’hui et de demain. Beaucoup d’entreprises mettent en place des enquêtes de satisfaction et des baromètres sociaux car, d’année en année, elles ont peur de générer des frustrations. Mais ce qui prime est de s’intéresser à l’individu même si les collaborateurs deviennent des clients souvent difficiles à satisfaire.
La restitution des travaux terminée, les DRH ont été invités à découvrir lors de la pause café les cocktails moléculaires, notamment des sorbets à l’azote ! Chimie ou alchimie, ce moment de découverte a permis d’ouvrir sur le dernier temps fort de la journée orienté vers le futur : les évolutions des modes de travail et les nouveaux collaborateurs.
Publiques comme privées, les organisations mettent en place des processus pour optimiser la gestion de la fonction RH, faciliter le management et répondre aux attentes du marché en matière de performance. Plusieurs réflexions et actions de grande envergure ont également été menées au sein de la Fédération hospitalière de France et du Ministère de la Défense.
Nadine Barbier, directrice du Pôle RH hospitalières, explique : « Cela fait quelques années que nos organisations évoluent. Nous avons trois impératifs forts qui sont : la satisfaction des besoins des patients, la prise en compte des attentes du personnel et la performance économique. » L’hôpital « vertical », caractérisé par des connaissances organisées par discipline, des spécialisations liées au progrès technique et une juxtaposition d’acteurs internes, opère sa révolution afin de mutualiser les coûts, notamment en favorisant une complémentarité des soins avec la médecine de ville et le partage des données grâce à des systèmes d’information adaptés. Par ailleurs, la gestion des ressources humaines s’adapte aux nouvelles modalités de soin, comme la télémédecine et le développement de la chirurgie ambulatoire. Elle doit également penser à la création de nouveaux métiers liés au management de proximité ou à la gestion des flux et la coordination. De même, une réflexion est menée sur la création de métiers intermédiaires entre les infirmiers (bac+3) et les médecins (bac+9 à 12).
De son côté, le Ministère de la Défense a mis en place une nouvelle gouvernance grâce au « Balardgone », un site unique, certifié HQE®, qui mutualise les moyens de fonctionnement et optimise les processus décisionnels. Il verra le jour en 2015. « Au-delà des économies libérées par le rassemblement des douze anciens sites (600 millions d’euros), le site est conçu pour favoriser les synergies fonctionnelles par métier grâce à une implantation des activités civiles et militaires au même endroit », témoigne René Lory, directeur, adjoint au secrétaire général pour l’Administration.
Certaines entreprises ont mis en place des expérimentations managériales courageuses qui impliquent de nouveaux modes de travail, souvent axés sur l’initiative privée et la responsabilisation des individus.
Mehdi Berrada, DRH au sein du groupe Poult, biscuitier, a fait le pari que les 800 collaborateurs étaient honnêtes et investis pour installer un management citoyen axé sur la confiance, la liberté et la performance. Il explique : « Nous essayons de rendre les salariés acteurs de l’entreprise. Nous avons pour principe de ne jamais faire subir à quiconque une décision stratégique qui pourrait directement l’impacter. Les individus se réapproprient leur avenir quand ils peuvent agir dessus. Nous nous sommes organisés en réseau, par famille de processus. Les différents collectifs créés fonctionnent par projet et possèdent un rôle décisionnaire sur l’allocation des investissements de l’entreprise. On demande aux équipes de s’auto-évaluer et de se donner des objectifs. »
Une logique d’autonomie et de liberté qui se retrouve également dans l’instauration du télétravail ou travail à distance.
Dominique Bost, directeur Initiatives stratégiques France chez Mondial Assistance, témoigne : « Nous avons industrialisé le télétravail et aujourd’hui une cinquantaine de salariés travaillent de chez eux. Nous souhaitons augmenter leur nombre à 300 en 2015 et déployer le travail à distance chez les cadres. Nous avons constaté une meilleure productivité et moins d’absentéisme. Notre métier est un métier d’urgence et il est impératif de répondre aux appels en moins de trois sonneries. Le télétravail doit par conséquent être totalement transparent pour nos bénéficiaires. »
Philippe Canonne, DRH Groupe de la Fnac, mène une réflexion qui va au-delà du travail à distance : « Nous voyons émerger de nouveaux modes d’organisation, explique-t-il, apparaissent aujourd’hui de nouvelles formules comme le forfait jour, avec empreinte numérique. » Chez Dupont de Nemours, le télétravail a pour inconvénient un certain isolement et fonctionne mal au niveau du management international. « L’entreprise possède 10% de télétravailleurs et envisage de réduire ce pourcentage », intervient la DRH Céline Bardet-Patureau. Dispersés ou rassemblés, les collaborateurs du futur travailleront en tout cas différemment.
Chez Schneider Electric, la préoccupation est la guerre des talents au sein d’une Europe vieillissante, dixit Isabelle Michel-Magyar, VP employées Engagement & Diversity, ce qui induit de nombreuses réflexions pour être plus attractif et ainsi fédérer dans une culture commune des profils issus de pays différents.
Pour attirer et fidéliser les collaborateurs du futur, les entreprises vont donc devoir faire preuve d’agilité, notamment en mettant en place un management global, de proximité, « attentionné », qui prend en compte leurs besoins et leurs difficultés dans un monde en perpétuelle évolution.
La journée s’est clôturée par un cocktail au 37e étage de la tour sur une vue imprenable. Car dans les ressources humaines, il faut toujours prendre de la hauteur !