INTRODUCTION : ERIC VALIN – Expert en IE
« L’intelligence Économique est une révolution managériale ».
Nous sommes passés de l’économie du réel à l’économie de la connaissance dans laquelle le volume d’informations et des savoirs en circulation ou disponible augmente constamment, d’où la nécessité de s’adapter à ce nouvel environnement, en gérant et en traitant leurs flux et stocks.
L’intelligence économique est le produit de ce constat et des moyens offerts par les TIC (techniques d’information et de communication), encore faut-il gérer cette manne.
Le DRH est le premier responsable de la gestion de ces avoirs et potentiels stratégiques pour l’entreprise en termes de facilitation, d’anticipation et de sécurisation de l’information stratégique. Cela impacte ses fonctions, du recrutement à la GPEC en passant par le climat social et la communication interne ou le travail collaboratif.
Par ailleurs, en contrepartie, une maîtrise de la culture IE facilitera la tâche du DRH au quotidien et revalorisera sa fonction dans la durée.
Nous vivons la fin de l’autocratie pour aller vers une réduction des lignes hiérarchiques proche de l’adhocratie; gouvernance et subsidiarité. Le partage de l’information et la délégation de pouvoirs sont essentiels.
Au niveau RH, il convient d’intégrer les compétences nécessaires à une bonne gestion de l’information et à son exploitation tout au long des profils de carrière pour produire la connaissance qui donne l’avantage compétitif.
INTERVENTION 2 : ALINE SCOUARNEC, Professeur, Université de Caen EVOLUTION DES METIERS RH
Au monde moderne succède le monde postmoderne.
Situons l’époque moderne de 1850 au choc pétrolier de 1973. Une période caractérisée par la croissance, la croyance en un avenir meilleur et au pouvoir de la technique. On vit alors pour travailler, pour trouver une entreprise et y rester le plus longtemps possible.
Si nous devions symboliser cette période par un Dieu grec, ce serait Prométhée, qui incarne le savoir.
Postmodernité : suite au choc pétrolier, la croissance est au point zéro. On se recentre sur le présent d’où la recherche du plaisir. Cette époque hédoniste peut être symbolisée par Dionysos – Dieu de l’ivresse.
On évolue d’une logique de l’individu à une logique de personne dans toute sa richesse et diversité.
En matière de RH, on sonne le glas du concept de gestion (c’est-à-dire de la technique et des outils) pour promouvoir la notion du management (gestion + pilotage) et de gouvernance.
Maintenant, le métier de RH s’élargit, exige une connaissance approfondie des métiers de l’entreprise pour :
- Mieux appréhender les risques sociaux et juridiques
- Maitriser son environnement
C’est la fin du RH de masse : on pense la personne et non seulement « métier et compétences ». Le DRH devient un architecte et un développeur de compétences. Différents scénarios sont alors envisageables :
- Le scénario de l’internationalisation,
- Le scénario de l’orientation « Business »
- Le scénario de la maitrise des risques sociaux et juridiques
- Le scénario de « l’humanisation »
- Le scénario de l’architecte et du développeur des compétences
- Le scénario de la reconnaissance mesurée
- Le scénario du management du travail
- Le scénario de la digitalisation et de la maitrise des risques numériques
- Le scénario de la communication globale (interne et externe)
Questions/réponses :
Q : Laurent Chouain, le DRH monde de Mazars,estime que la fonction de DRHconnait des évolutions stratégiques et pourrait évoluer vers celle de CLO (chiefLeaningOfficer). Qu’en pensez-vous?
R : Le DRH devrait, à mon sens, être une fonction centrale d’optimisation de l’organisation et de meilleure gestion des talents. Les appellations seront fonction de la maturité organisationnelle de l’entreprise.
Q : Comment intégrer à la fonction RH les différents types de contrat de l’entreprise?
R : Il existe effectivement différentes temporalités dans l’entreprise. On doit intégrer ces différentes communautés de collaborateurs dans les réflexions RH.
Q : Quelle est la responsabilité de la DRH en matière de RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise)?
R : Tout dépend de ce que l’on met sous le terme de responsabilité. Si l’on parle de développement durable, alors la DRH n’est pas directement concernée. Mais si l’on pense responsabilité sociale ou économique, alors cela relève de la DRH, avec, notamment, la norme ISO26000 sur la question de l’éthique.
Q : Quel est pour vous le rôle du DRH dans la gestion des unités de production ?
R : Le DRH doit développer l’accompagnement des individus, faire le lien entre les collectivités et les différents outils, en un mot rendre autonome.
INTERVENTION 3 : STEPHANE DIEBOLD, PRESIDENT, AFEN UN NOUVEAU RAPPORT AUX SAVOIRS
En préambule, Stéphane Diebold pose la question suivante : a-t-on encore besoin de formation ?
Pas forcément, nous répond-il, il ne faut pas confondre apprendre et se former, on peut se passer de se former mais pas d’apprendre.
La formation est une forme socialisée d’apprentissage, un contrat social autour d’une certaine forme d’apprentissage, aujourd’hui, nous recherchons la nouvelle forme de la formation.
Nous sommes entrés dans l’ère des 3 V.
- Volume de l’info : avant le sachant transmettait à l’apprenant. Aujourd’hui les règles du jeu sont bouleversées, il y a pléthore d’information et de formations, le responsable de formation devient un prescripteur.
- Vitesse : une enquête conduite par Jacques Attali nous apprend que la connaissance technique double tous les 7 ans. En 2030, elle doublera tous les 72 jours! Face à cette évolution très rapide, on remet le collaborateur au centre du dispositif de formation.
- Visibilité : Quand la vision stratégique des dirigeants de l’entreprise peine à s’inscrire au-delà de six mois, alors quid de la GPEC ? Comment penser les formations pluri-annuelles ?
Ce qui change en formation : nous passons d’une fonction de l’offre à une fonction de la demande. On en revient aux attentes des collaborateurs.
- De quoi ont-ils besoin, quelle est la formation utile ?
- Comment leur donner envie de formation ?
Il faut savoir proposer des événements formations qui créent le besoin, surprendre pour conduire une nouvelle formation avènementielle et évènementielle. Il y a une nouvelle grammaire de la formation qui assure la trans-formation des structures. On doit s’interroger quant à la médiologie de la formation : où, quand, comment former? Pour créer une ligne éditoriale spécifique à chaque culture d’entreprise, à chaque histoire et stratégie. La formation érotise l’apprentissage pour permettre à chacun d’apprendre seul ensemble.
Tout reste à écrire pour les aventuriers de la formation en entreprise.
Q : Cette individualisation de la formation ne risque-t-elle pas de laisser des collaborateurs sur le bord du chemin?
R : Les exclus de la formation ne le seront pas plus qu’avant sauf à changer notre posture au savoir avec le seul ensemble. Il convient d’impliquer le management pour pour créer des communautés apprenantes avec une nouvelle posture interactive au savoir.
INTERVENTION 4: MICHEL GODET, MÉTIERS ET COMPÉTENCES DEMAIN ?
Quelques constats :
- le diplôme est un facteur d’exclusion Plus on fabrique de diplômés, plus le marché en réclame.
- Il faut former sur des compétences transférables
- Apprenons à apprendre mais apprendre quoi ? et par qui ?
- Plus on allonge la formation, plus on alourdit le poids des inégalités sociales
- Le meilleur vecteur de l’emploi, c’est l’insertion, autrement dit mieux vaut insérer que former
Il convient aussi de former aux métiers qui seront utiles demain. Or, les marchés d’avenir des pays développés sont :
- Solitude et vieillissement (1 personne sur 2 vit seule à Paris)
- Sécurités biens et personnes
- Quaternaire, soit les services incorporant des biens (ex Michelin solutions : ne vendent pas un pneu mais une solution de transport.)
- Marchés verts et éthique
En France, le PIB/habitant recule par rapport aux autres pays européens. Il faut «remettre la France au boulot» et réduire la dépense publique.
INTERVENTION 5 : CHRISTOPHE BINOT – TOTAL, PROTÉGER L’INFORMATION
La gouvernance de l’information chez Total repose sur :
- politique de sureté du patrimoine informationnel : vol, risques, espionnage, cybercriminalité… (9 pertes sur 10 sont dues à des erreurs de comportement)
- politique de conservation des documents
- politique de protection des données personnelles
Les usages ont été bouleversés : chacun est utilisateur, producteur et gestionnaire d’information et peut obtenir l’information qu’il souhaite très facilement.Il est donc plus que jamais nécessaire de gérer et protéger l’information pour ne pas mettre l’entreprise en situation de risques.Il faut aussi savoir où se trouvent vos informations. Quid des partenaires, clients, fournisseurs qui en détiennent sur vous ?
Les supports se multiplient, ainsi que le nombre d’interlocuteurs par projet, le tout dans un environnement mobile et connecté. Les dangers du BYOD (BringYourOwnDevice) sont réels. Total n’autorise pas l’utilisation d’ordinateurs/tablettes personnels à des fins professionnelles.
Rappelons que le coût d’une data breach (quand des données sortent de l’entreprise) est estimé entre 10 M et 500M$.
INTERVENTION 6 : MICHELLE CHAMPAGNE – VEOLIA, PROSPECTIVE TERRITORIALE
Si le territoire est une vision administrative et géographique, il est aussi un ensemble cohérent qui a son propre modèle de développement et sa dynamique d’acteurs. A cette dimension, s’ajoute le fait que le territoire est traversé par des flux (d’eau, d’énergie, de transport, de ressources).
La dynamique territoriale est impulsée par des axes de développement :
- réduire l’usage des matières non renouvelables et améliorer leur durabilité
- développer une ingénierie servicielle pour créer des emplois pérennes sur le territoire axée sur une logique de service et la connaissance des besoins des acteurs du territoire
- favoriser l’égalité des places et des chances et réduire les inégalités cognitives, économiques
- s’appuyer sur des acteurs du territoire ; entreprises, associations, politiques…
La conjugaison de ces axes de développement fait basculer le modèle de développement durable vers un « modèle de développement durable des territoires ».
Selon la dynamique du territoire, les acteurs peuvent varier. Il faut donc caractériser les acteurs :
- Acteurs pivots : ceux qui ont le pouvoir économique, légal et administratif, + la légitimité administrative et économique + l’intérêt général , Ils sont incontournables.
- Acteurs ressources : n’ont pas le pouvoir mais la légitimité administrative et économique+ l’intérêt général ou commun.
- Acteurs mobilisables : n’ont ni pouvoir économique, ni légitimité, mais ils possèdent l’expertise voire des compétences ou ressources mobilisables.
La caractéristique des acteurs du territoire est indispensable pour comprendre et mettre en œuvre des modes de gouvernance des projets.
Dès lors, se pose la question : Quelle convergence peut-on observer entre innovation sociale et innovation technologique? Quels nouveaux savoirs vont émerger de ce modèle de développement ?
Deux paradoxes sont à noter :
- Cette tendance va à rebours de la compression de l’espace et du temps par la mondialisation et l’univers atemporel du cyber espace alors qu’il y a un besoin vital d’enracinement qui prend des formes multiples.
- Cette tendance se propage malgré le processus de déterritorialisation du pouvoir économique engendré par la globalisation économique alors que l’on assiste à une réactivation de régionalisme économique et culturel
Ces nouvelles formes de coopération entre les entreprises entre elles, les entreprises et le tissu socio-économique impactent le modèle de gouvernance des acteurs : la responsabilité des producteurs est élargie dans ses dimensions de recyclage et de fin de vie de ses produits.
Des expérimentations irriguent une cinquantaine de régions en France, elles sont motivées par des lois : loi de transition énergétique, projets Zéro gaspillage, Zéro déchets, projets portés par l’ADEME et par l’OREE, projets issus des études de prospective des CESER, etc.
- Citons les Living Lab qui regroupe des acteurs publics et privés, des entreprises, des associations, des acteurs individuels, dans l’objectif de tester « grandeur nature » des services, des outils ou des usages nouveaux. Dans ce dispositif, l’usager oriente les solutions, il est à la fois acteur et collaborateur. 38 Living Lab en France dans le domaine de la santé et autonomie des personnes.
- L’écologie industrielle territoriale : les projets débouchent sur des actions comme la mutualisation de moyens et de services entre des entreprises présentes sur le territoire, par exemple : les déchets d’une entreprise vont devenir des produits pour chauffer un bâtiment, produire de la biomasse. Ces projets d’écologie industrielle s’inscrivent non seulement dans une proximité territoriale mais dans un contexte de relations qui font partie du patrimoine territorial.
De quelle façon faire monter en compétences les acteurs du territoire ?
Une piste intéressante est donnée par le CGDEE (Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable) qui a fait une cartographie des compétences des collectivités territoriales et de certains acteurs dont l’ADEME, DREAL en matière de climat, qualité de l’air et énergie en 2013.
- Passer d’une compétence individuelle à une compétence collective, notamment sur la thématique Climat-Air-Energie
- Passer d’’une compétence dans un domaine thématique à une compétence transversale plus englobante –p. e. nanomatériaux
- Identifier le cœur d’expertise d’un territoire qui ne se limite pas qu’à quelques acteurs…
Q : N’y a-t-il pas un risque ou un travers à cartographier les compétences en partant des individus?
R : La cartographie des compétences établie par le CGDEE a consisté à identifier les compétences, expertises et apprentissages détenus par les structures territoriales, ceci pour établir une projection des activités présentes et des activités en émergence du territoire.
INTERVENTION 7 : PHILIPPE CLERC – CCI, ÉVOLUTION DES METIERS DE L’IE
Comment manager « l’intelligence stratégique »(= capacité de l’intelligence de l’organisation mise en œuvre au service de la stratégie)? Claude Revel craint la dilution de la reconnaissance de l’expertise « intelligence économique » si on va vers la fin de la fonction « expert ».
Les métiers liés à l’influence, au lobbying, à la diplomatie d’entreprise (prise en compte de l’impact de l’entreprise sur son environnement – RSE –, l’image de l’entreprise auprès de ses parties prenantes, …)se développent.
Les métiers de l’IE changent. Big data analytics, open data, interconnexion des données (automatisation des métiers du savoir, learning machines…), pilotage visuel et cartographie…Autant d’outils et de techniques nouvelles qui permettent une veille en temps réel, et qui nécessitent de nouvelles compétences (Business data stewards, experts en traitement et capture de données, data scientists). L’ AFP va, par exemple, produire des billets d’agence produits à 90% par les machines.
Les méthodes et façons d’innover sont bouleversées. Les « Hack a ton » donnent naissance à des innovations foudroyantes sur lesquelles les métiers de la veille traditionnelle n’ont pas de prise.
Deux nouveaux « profils » apparaissent :
- Le « diseur de vérité » : sénior de l’entreprise qui connait le secteur d’activité et les métiers de l’entreprise, qui est capable d’aller dans des lieux improbables pour y trouver des informations stratégiques.
- Le « voyant » : celui qui imagine quelque chose qu’on ne voit pas et qui « imagine au plus profond des choses ».
Q : Ces « nouveaux métiers » ne sont-ils pas ceux des prospectivistes ?
R : La tendance va vers l’intelligence prospective, autrement dit la capacité à « voir » ce qui n’est pas discernable.
Q : Entre l’intelligence économique et l’intelligence artificielle, lequel des deux va l’emporter à votre avis?
R : Je suppose qu’il nous faudra trouver la bonne articulation entre les deux.
INTERVENTION 8 : FRANK MOREL – BARTHELEMY AVOCATS, ASPECTS JURIDIQUES DE LA REFORME DE LA FORMATION
La Loi du 5 mars 2014 impose de nouveaux points de vigilance :
- Obligation d’adaptation à l’emploi, avec pour outil le plan de formation. La loi modifie le financement de la formation, mais ne remet pas en question le plan de formation.
- Avant la loi, au-delà de 10 salariés l’obligation de « dépenser » portait sur 0,9% de lamasse salariale. Se posait alors la question de l’imputation.
- Cette question ne se posera plus. On passe d’une logique financière à une obligation d’adaptation.
Dès lors, il conviendra de :
- Adapter les compétences à l’emploi exercé
- Et continuer à développer les compétences
Au niveau contractuel, quels outils utiliser?
La clause de dedit formation : l’employeur finance une formation que le collaborateur s’engage à « rembourser » s’il quitte l’entreprise. Cette clause est applicable si :
- Elle est nécessaire à la protection des intérêts de l’entreprise.
- Si elle concerne une formation « bonus », non obligatoire.
TABLE RONDE – DISCUSSION
Apports de la veille et de l’Intelligence Economique pour anticipation et gestion des compétences
Patrick Devaux, Airbus – Arnaud Franquinet, Grant Thornton – Eric Valin, expert IE
Patrick Devaux – Airbus : L’intelligence économique a deux objectifs :
- développer et protéger l’entreprise.
- Anticiper la stratégie des concurrents tout en restant dans la légitimité
L’intelligence économique doit être une préoccupation partagée par tous les collaborateurs de l’entreprise.
Arnaud Franquinet – Grant Thornthon :
Le recrutement fournit des informations précieuses. C’est une source parmi d’autres, puisque d’une certaine façon, l’intelligence économique ne connait pas de limite. A chacun d’y puiser à sa guise. Mais cette « sur abondance » d’information nécessite des qualités d’interprétation et d’analyse.
Q : Par rapport aux informations acquises lors d’un processus de recrutement, quid de la question éthique?
R : Cette question peut se poser effectivement. Notons que l’échange d’informations se fait dans un cadre de libre choix.
Q : Face à une information donnée, comment gérer le problème de l’interprétation ?
R : Il convient de noter le degré de fiabilité, de recouper et de vérifier l’information.
EricValin : On pourrait faire l’analogie entre l’évaluation de l’IE et l’évaluation d’une campagne de marketing. Il y a des retombées en termes d’image, de création de valeur et de gestion de l’information (puisque mesurer les volumes d’échanges de l’entreprise permet de mesurer l’IE). Aux US, on considère que la pratique de l’IE génère 5% de CA supplémentaires.
Q : En matière de RH, considérez-vous le DRH comme un exécutant ou comme partie prenante et vecteur d’innovation ?
R : Ne survivront que les entreprises qui auront une RH leader qui sera un véritable gestionnaire de compétences.