Toute réforme amène son lot de bonnes et mauvaises surprises. Pour nous éclairer sur la récente révision de la formation professionnelle, Jean-Luc Vergne, ancien DRH de grands groupes français (Sanofi, Elf Aquitaine, PSA Peugeot Citroën) mais également président de l’AFPA de 2008 à 2012 et membre du comité de pilotage du Club DéciDRH, nous résume avec son franc-parler ce qui attend les entreprises et les salariés. Quelques mois après sa mise en œuvre, nous avons également demandé à notre « DRH de l’année 2001 » de faire un premier bilan critique.
Le Club DéciDRH : Pourriez-vous nous présenter succinctement la récente réforme de la formation professionnelle ?
Jean-Luc Vergne : La loi n°2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale transpose l’Accord national interprofessionnel du 14 décembre 2013. Cette loi crée des nouveautés. Elle met en place des dispositifs novateurs qui répondaient à des besoins. En premier lieu, les entreprises passent d’une obligation de payer à une obligation de former. Le mécanisme de fonctionnement et de représentation des organisations syndicales et patronales est également revu. La loi met en place le compte personnel de formation (CPF) qui remplace le DIF. Il est à l’initiative exclusive du salarié, contrairement au DIF, et sera généré tout au long de la vie même pendant les périodes de chômage. La loi crée également le conseil en évolution professionnelle (CEP) qui est accessible aux salariés gratuitement. Il leur permet de pouvoir s’informer sur les évolutions et les formations disponibles. Autre grande nouveauté qui découle de cet accord : la loi aborde le problème des demandeurs d’emplois. Des fonds leur seront réservés pour abonder leur CPF par le Fonds Paritaire de Sécurisation des Parcours Professionnels (FPSPP). C’est une première !
Le Club DéciDRH : Quelles sont vos critiques sur cette réforme ?
Jean-Luc Vergne : Selon moi, la première insuffisance est que si l’on dépense 32 milliards d’euros par an en matière de formation professionnelle, soit 1,6 % du PIB, le rendement en matière d’efficacité est très faible. D’ailleurs, je regrette que la loi n’est pas prévue la certification des organismes de formateur. Je vous rappelle que pour ouvrir un salon de coiffure, il faut le CAP et le BP ; pour être un organisme formateur, il faut des documents administratifs mais personne ne s’assure des compétences pédagogiques des dits-cabinets qui s’ouvrent. La deuxième est que l’on ne contrôle toujours pas la qualité des sessions dispensées au-delà de remplir une évaluation portant sur la qualité des locaux ou de la restauration. Je considère également que concernant les OPCA, les critères d’allocation des ressources restent toujours opaques et que les moyens dégagés à la formation des demandeurs d’emploi, qui sont pour la première fois abordés, restent encore insuffisants. Quant à la mise en œuvre, le compte personnel patine car les premier avis publiés par le comité national interprofessionnel national pour l’emploi et la formation – il recense les actions qui pourront bénéficier du CPF – concentrent en majorité des cursus longs de plusieurs centaines d’heures qui sont à priori inaccessible pour le CPF hormis pour les employés des grandes sociétés qui pourraient bénéficier éventuellement d’un abonnement. Il y a donc une insuffisance, et j’ai peur que cela bénéficie principalement aux personnes déjà qualifiées, formées, aux collaborateurs de grosses structures au détriment de ceux des TPE et PME. Il y a beaucoup de formations qui intéressent des salariés qui ne sont pas encore certifiés mais qui pourraient l’être dans le futur. Elles concernent notamment la gestion du stress, le développement personnel, la conduite de réunion et j’espère qu’elles le seront prochainement. En tous cas, le CPF est perçu comme une usine à gaz par les professionnels et à ce jour, quasiment personne n’a pu l’utiliser !
Le Club DéciDRH : Dans le contexte actuel où nous assistons notamment à l’explosion du numérique, quel message adresseriez-vous aux DRH ?
Jean-Luc Vergne : Je crois que l’arrivée des nouvelles technologies comme le numérique amène à repenser les organisations du travail, les relations de travail et le management. Pour moi, ce ne sont pas des outils ni de la technique. C’est une culture qui doit conduire les entreprises à revoir leurs process managériaux de manière à ce que les individus consacrent leur temps non plus à faire des tâches pénibles, répétitives et à peu de valeur ajoutée, qui peuvent être effectuées par exemple par des ordinateurs ou des robots, mais de le dédier à l’innovation et à la créativité. Le rôle du manager va être de faire émerger ces capacités créatrices et les DRH doivent quant à eux, réfléchir à la manière de conduire ces réflexions. J’ai un message à leur donner : passez à l’action, agissez !
Un grand merci à Jean-Luc Vergne pour cette interview.
Propos recueillis par Astrid Crabouillet.
Découvrez également l’ouvrage de Jean-Luc Vergne, « Itinéraire d’un DRH Gâté » paru aux Editions Eyrolles.
Le Club DéciDRH est un club de Décideurs RH, en majorité des DRH mais aussi des RRH, responsables du développement RH, des responsables formation, recrutement, etc… Tout au long de l’année, nous proposons des opportunités de rencontres et de networking, d’assister à une douzaine d’événements et offrons à nos 150 membres des occasions uniques pour s’informer et se divertir.
Découvrez nos programmes et /ou inscrivez-vous à nos évènements en cliquant ici
Je partage totalement la vision de Jean-Luc sur l’impact des nouvelles technologies et le rôle qu’elles doivent jouer pour libérer et faire émerger les capacités créatrices.