L’Institut Finlandais de Paris recevait la veille de la journée de la femme le Club DéciDRH pour sa soirée « spéciale hommes ». Transformé pour l’occasion en représentant de la Finlande, pays précurseur en matière d’égalité H/F, Christophe Leparq nous a accueilli avec un speech en finlandais, préparé et traduit avec brio par Hanna Vaaranen, membre du Club, DRH d’EURENCO et finlandaise, que nous remercions ici !
En sa qualité d’animatrice de la soirée, Antonella Desneux, Directrice Citoyenneté, Innovation Sociétale et Développement Durable du Groupe SFR, Vice-présidente du Club DéciDRH, nous présente les intervenants :
Claudie Baudino, politologue, spécialiste des controverses linguistiques et des questions de représentation. Après avoir fondé et dirigé le Centre Hubertine Auclert – Centre francilien de ressources pour l’égalité femmes – hommes, elle est aujourd’hui chargée d’une mission sur le « care » au sein de la mission analyse stratégique, synthèses et prospective de la Direction générale de la cohésion sociale.
François Fatoux, Délégué Général de l’ORSE (Observatoire de la Responsabilité Sociétale des Entreprises), membre du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle, et membre du conseil d’administration du laboratoire de l’égalité.
Rachid Bensahnoune, fort d’une expérience de dix ans dans les instances européennes, a rejoint en 2006 le groupe L’Oréal, pour intégrer la Direction des Ressources Humaines. Depuis le 1er avril 2011, Rachid est DRH en charge des Diversités à l’International. Il est également Vice-Président de l’AFMD.
Olivier Lajous, Président du Club DéciDRH, Président de la Société Nationale de Sauvetage en Mer, élu DRH de l’année 2012.
Le choix des mots !
« En quoi le choix des mots représente-t-il un enjeu politique ? » demande Antonella à Claudie Baudino pour ouvrir les débats.
« C’est une question vaste que j’ai abordée sous l’angle de la féminisation des métiers, qui induit la question du pouvoir dans la langue. En guise d’exemple, l’expression « première dame » employée pour qualifier la compagne du président de la république actuel rappelle que les hommes et les femmes ont des statuts sociaux encore bien différenciés et renvoie la femme à un rôle de maitresse de maison. Cette expression est significative de la gêne et de la résistance face à la situation ‘non-maritale’ du président et fait office de rappel à l’ordre. Si une femme était élue présidente, comment appellerait-on son mari ou son compagnon ? »
Antonella Desneux : « Les choses sont-elles figées ? Quand on est petit, on nous apprend des règles de grammaire très rigides ! »
« On fait ce qu’on veut de la grammaire ! » rétorque Claudie Baudino. « Ce sont les usages qui illustrent les résistances sociales et les obstacles, et souvent le dernier rempart de l’inégalité se trouve dans la langue. Jusqu’aux années 1980, l’usage était de laisser les métiers au masculin, comme Directeur de cabinet même si le poste était tenu par une femme. En revanche on disait une Directrice d’école… »
La tyrannie des normes
François Fatoux établit un parallèle entre la problématique de l’égalité H/F et la RSE, qui donne l’opportunité d’exprimer des doutes dans un monde complexe et permet l’ouverture d’un dialogue à l’intérieur de l’entreprise et inter-entreprises. Or dans nos organisations un homme doit être infaillible et toujours donner une réponse, sinon il n’est pas un homme !
François Fatoux rappelle que le pourcentage de femmes dans les conseils d’administration se chiffre à 20%, et tombe pratiquement à 0% en ce qui concerne les comités de rémunération. Les salaires, un sujet trop sérieux pour les femmes ?
« Le travail sur l’égalité H/F se base sur des valeurs, des normes masculines de comportement qui s’imposent aux hommes dans le modèle d’éducation. Dès leur plus jeune âge les garçons sont poussés à se comparer. Ces pratiques de compétition permanente génèrent des effets négatifs et parfois destructeurs pour la santé. »
Un homme peut se retrouver rejeté du ‘clan’ s’il ne participe pas à ce modèle viril, dans lequel tout ce qui est considéré comme féminin est à proscrire. Pourtant de nombreux hommes ne supportent pas cette violence. 75% des suicides au travail sont commis par des hommes, mis en situation d’isolement et en incapacité d’exprimer leur souffrance.
Le regard des hommes sur les hommes
« Qu’en est-il de la situation chez l’Oréal ? » interroge Antonella en se tournant vers Rachid Bensahnoune.
« En 104 années d’existence, l’Oréal a connu seulement cinq CIO », rappelle Rachid Bensahnoune. « Dans une entreprise familiale, il est difficile de diversifier le conseil d’administration. Mais nous nous étions fixés comme objectif d’intégrer plus de femmes dans les ‘nomination committees’, qui sont désormais mixtes. » Prenant en exemple la modification du congé parental annoncé par François Hollande ce même jour, il ajoute : « le législateur demande de plus en plus aux entreprise de se substituer à ce qu’il n’est pas capable de faire. »
L’Oréal compte 63% de femmes, dont 45% à un niveau de management. Parmi les 45 marques du groupe, 18 sont dirigées par des femmes. Elles sont 21,5% au COMEX. « Les jeunes diplômés masculins sont réticents à venir chez l’Oréal qu’ils considèrent comme une entreprise de femmes ! » indique Rachid Bensahnoune.
Antonella Desneux : « Comment le regard des hommes sur les hommes évolue-t-il chez l’Oréal ? »
« La grande mobilité des collaborateurs au sein du groupe implanté dans plus de 50 pays et l’existence d’une communauté gay apportent une ouverture d’esprit et favorisent l’évolution des mentalités.»
Selon François Fatoux, il reste difficile de mesurer cette évolution des mentalités. « Mais il existe un indicateur simple : 3% seulement des hommes prennent un congé parental. Tant que la mixité n’est pas de mise dans ce domaine, il sera très difficile de faire des progrès dans le domaine de l’égalité professionnelle car la répartition des tâches ménagères a une énorme répercussion sur l’égalité au travail. »
Donner la parole aux hommes
Le public des conférences sur l’égalité professionnelle est en majorité composé de femmes. Sauf ce soir, merci à tous les hommes présents !
Pour François Fatoux, il est indispensable d’impliquer les hommes et de leur permettre de s’exprimer. « L’ORSE a mené une enquête sur l’égalité professionnelle auprès d’une dizaine d’hommes à haut potentiel. C’était la première fois qu’on leur demandait leur point de vue sur l’égalité H/F ! Ils nous ont parlé par exemple de la désapprobation marquée de leur manager lorsqu’ils partent à 18h00. Nous devons construire des argumentaires qui s’adressent directement aux hommes, pas seulement à l’entreprise. Il faut également tenir compte des hommes qui se considèrent comme sacrifiés pour avoir dû laisser la place aux femmes… Tout le monde doit comprendre que l’égalité profite aux femmes mais aussi aux hommes ! »
Antonella Desneux : « Que vous inspire ce renversement des rôles, le fait que des hommes se sentent lésés ? »
Pour Claudie Baudino, il s’agit d’intéresser les hommes à la question de l’égalité. Pour les femmes, atteindre l’égalité H/F représente un idéal, alors que les hommes doivent s’emparer d’un sujet qui, pensent-ils, ne les valorise pas. « L’égalité signifie ouvrir les choix aux deux sexes, sortir des rôles sociaux. »
L’égalité, un levier pour traiter d’autres problématiques
Antonella Desneux : « L’égalité H/F remet en cause l’ensemble des valeurs de la société et nous amène à nous interroger sur d’autre problématiques. »
« Oui, elle génère des débats sur la parentalité notamment. Le MEDEF souhaite désormais que le congé paternité soit obligatoire, ce qui est un progrès ! » fait remarquer François Fatoux. « Traiter les problèmes de santé, d’accidents, ou de comportements à risque avec une approche sexuée conduirait à de nouvelles pistes de prévention. Les normes masculines poussent le collaborateur à ne pas douter et à prendre des risques, ce qui peut avoir de graves conséquences dans des domaines dangereux comme le nucléaire. Travailler sur l’égalité H/F permet aussi d’explorer le domaine du care, de déceler les situations de fragilité dans l’entreprise (violence conjugale, surendettement,…). »
« Le thème de l’égalité doit être porté bien haut par la direction générale, qui doit sanctionner tout acte inégalitaire. Concernant les situations de fragilité, c’est aux managers de proximité de les repérer, pour ensuite donner le relai aux RH. On essaye de tenir régulièrement des comités de pilotage au sein du groupe, car une instance, même informelle, empêche l’éparpillement qui nuit à l’avancée sur ces sujets, » témoigne Rachid Bensahnoune.
« La fragilité en entreprise reste un sujet tabou, alors que l’enjeu est très important, » commente Antonella Desneux.
Pour Claudie Baudino le chantier de l’égalité H/F est inépuisable. Elle est favorable à la création d’un ministère de l’égalité entre les sexes et les genres plutôt qu’un ministère des droits de la femme.
Bravo la Finlande !
Christophe Leparq profite de l’endroit pour demander à Hanna Vaaranen pour quelles raisons la Finlande est un pays en avance sur le sujet.
« Tout d’abord, en Finlande, les notions de féminin et de masculin, le ‘il’ et le ‘elle’ n’existent pas dans la langue » précise Hanna. « Les raisons sont aussi historiques. La Finlande, coincée entre la Suède et la Russie, a dû lutter pour son indépendance, notamment contre les Russes. Les femmes ont joué un rôle important pendant que les hommes étaient à la guerre. Nous sommes le premier pays européen à avoir accordé le droit de vote aux femmes en 1906, et à avoir élu une femme président. »
L’égalité en respectant les différences
Olivier Lajous conclut les débats par une synthèse : « Le fait de ne pas distinguer linguistiquement le ‘il’ du ‘elle’ peut jouer un rôle effectivement. Le poids des traditions continue de peser énormément, cela commence par le choix des jouets, voiture pour les garçon, poupée pour les filles. Mais l’égalité ne doit pas gommer nos différences. Gardons-nous de normaliser, cela brutalise la société. Dans ma lutte pour la féminisation de la Marine, j’ai rencontré beaucoup de freins, y compris chez les femmes de marin qui voyaient d’un mauvais œil l’embarquement de femmes sur les bateaux ! L’égalité ne concerne pas que les hommes et les femmes, mais aussi les hétérosexuels et les homosexuels, les valides et les invalides,… Le vrai défi consiste à admettre qu’aucun de nous n’est supérieur à l’autre, ce qui va à contre-courant des dictats de la société. Rebellons-nous contre tous les systèmes de préséance ! L’égalité est inscrite dans la constitution. Nous sommes tous égaux en droit, face à la vie incertaine. »
Merci à tous les intervenants, aux hommes et aux femmes de l’assistance, et vive l’égalité !