Suite à l’onde de choc générée par la parution du livre La guerre invisible dénonçant les discriminations et violences sexuelles subies au sein de l’armée, une cellule dédiée a été créée en 2014 pour accompagner les victimes. A ce jour, plus d’une centaine de cas ont été pris en compte. Anne-Cécile Grappy, sociologue démographe, également membre du comité de pilotage du Club DéciDRH, en est l’un des rapporteurs. Après sa participation à la table ronde « Qu’est-ce que la qualité de vie au travail ? » de notre Université d’été sur le Travail, les 18 et 19 juin dernier à Lille, cette femme au parcours original nous livre son quotidien au cœur de cette structure.
Le Club DéciDRH : Pourquoi la cellule Thémis a-t-elle été mise en place ?
Anne-Cécile Grappy : La cellule Thémis (le nom fait référence à la déesse grecque de la justice) a été créée en avril 2014 suite à la parution d’un livre de deux journalistes du magazine Causette (La guerre invisible : révélations sur les violences sexuelles dans l’armée française, édition Les arènes). Elles ont recueilli les témoignages de femmes militaires au sein de l’armée. Après sa sortie, une enquête a été demandée par le ministre Jean-Yves Le Drian au Contrôle Général des Armées, pour vérifier ces faits qui se sont avérés fondés. Des propositions d’actions ont ainsi été émises ; la création de Thémis en faisait partie. Il faut savoir que dans les armées, tout ce qui relève du « moral des troupes » relève de la responsabilité du commandement. Nous n’avons donc pas attendu la création de la cellule pour nous occuper de ces problématiques ; elles étaient déjà prises en compte. Malheureusement, des cas n’ont pas été recensés pour diverses raisons : la victime ne parle pas car elle a peur ou parce que l’agresseur est dans l’environnement du commandement ; la personne s’exprime mais l’affaire est mal traitée ou pas comme elle le souhaite et par conséquent, elle a le sentiment de ne pas être reconnue en tant que victime.
Le Club DéciDRH : Comment fonctionne cette cellule ?
Anne-Cécile Grappy : Nous avons mis en place un numéro de téléphone et sommes visibles via notre site « Intradef », l’intranet de la Défense. Nous prenons en charge la victime dans toutes les dimensions qui la concernent ; c’est-à-dire l’accueil, la réorientation vers une cellule d’écoute et psychologique, la prise en charge du volet social et administratif. Concrètement, notre travail journalier consiste à recueillir l’appel ou le courriel des victimes. Ce premier contact est très important : il est le poste le plus difficile à tenir car nous sommes bien souvent la première personne à qui s’adresse la victime. Les propos sont souvent décousus et remplis d’émotions (peine, pleurs, colère), nous devons donc aider l’appelant à remettre de l’ordre dans son récit. Ensuite, nous demandons à la victime de le retranscrire par écrit. Une fois le dossier enregistré, il est affecté par le général qui dirige la cellule à l’un des deux rapporteurs de la cellule. Nous n’agissons jamais sans l’accord de la personne concernée : si elle ne veut pas qu’on intervienne ou si elle n’est pas prête à tout dire, on lui laisse du temps. Un travail minutieux commence alors : rassemblement des pièces (analyses médicales, photographies, SMS, témoignages, notations douteuses, etc.) qui permettent d’administrer la preuve de ce qui est avancé ; ce n’est pas évident car on ne garde pas forcément des preuves quand une agression arrive. Dans tous les cas, nous nous assurons que ses droits soient respectés. Par exemple, si une femme veut porter plainte pour agression sexuelle ou viol, nous l’accompagnons ; si elle a besoin d’un avocat, le ministère de La Défense peut lui faire bénéficier d’une protection juridique et ses frais d’avocats seront remboursés. Mon travail est de m’assurer que ces femmes peuvent en bénéficier. De plus, si nous sentons la personne dans une grande détresse psychologique, une réorientation vers un psychologue est effectuée. Nous faisons surtout en sorte que la victime soit en sécurité et nous la suivons pendant au moins cinq ans. Nous sommes également très attentifs à la sanction infligée à l’auteur.
Le Club DéciDRH : La prévention est l’une de vos missions. Comment s’effectue-t-elle ?
Anne-Cécile Grappy : En premier lieu, nous faisons de la formation. Actuellement, nous travaillons avec une cellule interministérielle qui s’appelle la MIPROF (Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violence) pour former les instructeurs. Ils vont devoir enseigner, a minima durant deux heures, les règles à appliquer entre hommes et femmes aux jeunes arrivants dans l’armée. Nous avons constaté que les garçons ne savent pas toujours où est la limite et que les filles sont parfois incapables de dire « non ». Le kit de formation (en cours de réalisation) permettra de dire à partir de quel moment le harcèlement commence et d’apprendre à accepter un refus de la part d’une femme. De plus, je fais régulièrement des conférences. Je me déplace au sein des bases pour présenter la cellule devant des amphithéâtres de 100 à 200 personnes et faire de la prévention. Enfin, j’établis des statistiques : je qualifie et dénombre les faits qui sont observés au sein de la Défense. Les statistiques sont très importantes. Cela aide également à orienter les politiques.
Le Club DéciDRH : Quelle est votre vision quant à l’avenir de Thémis ?
Anne-Cécile Grappy : Il faut savoir que le ministère de La Défense est la seule entité qui a une cellule comme la nôtre ; c’est également la seule en France. Nous sommes même un peu courtisés par les États-Unis qui sont venues nous rencontrer en disant qu’ils aimaient beaucoup le concept, et qu’ils souhaitaient s’inspirer de ce que nous faisons. Nous sommes un peu pilote dans le domaine aujourd’hui ; à terme, l’objectif est que nous n’existions plus et que ces incidents soient traités et régulés.
Un grand merci à Anne-Cécile Grappy pour cette interview.
Propos recueillis et retranscrits par Pauline Goudoux et Astrid Crabouillet.
Le site de la cellule Thémis, à consulter ici.
DéciDRH est un club de Décideurs RH, en majorité des DRH mais aussi des RRH, responsables du développement RH, des responsables formation, recrutement, etc… Tout au long de l’année, nous proposons des opportunités de rencontres et de networking. Nous offrons à nos 100 membres des occasions uniques pour s’informer et se divertir.
Découvrez nos programmes et/ou inscrivez-vous à nos évènements en cliquant ici