Voilà plus de 30 ans que GPRH, GPPE, puis GPE et enfin la GPEC sont connues des organisations et des partenaires sociaux. De 1975 à 1985, ce sont 10 années de plans sociaux, au cours desquelles, faute de mieux, la GPEC a été utilisée pour « expliquer » ou « justifier » les licenciements. Il s’agissait, dans un contexte de guerre économique, de mettre en adéquation, la Ressource Humaine potentielle d’une organisation, avec ses défis à venir, ses stratégies de développement, ses besoins de connaissances, l’entretien et le développement des savoirs nécessaires à sa pérennisation.
Le projet semblait simple : il fallait passer de la « gestion du personnel » à la « gestion des ressources humaines ».
Les années 90 redécouvrent le concept avec les nouvelles démarches qualité. Le système de management de la qualité (SMQ) retient entre autres principes essentiels :
- L’approche par processus
- L’implication du personnel
La Gestion de la Ressource Humaine est alors un processus comme les autres. Il nous faut le procédurer, annoncer les règles du jeu et s’y tenir ! L’outil GPEC est tout trouvé pour répondre à cette demande. Les cabinets conseil vendent ce bel ensemble fait de « fiches de poste », ou « d’études de fonction », de procédures « d’entretiens individuels de performance », de « recrutement », « d’accueil », et de « plan de formation ». Belle boîte à outils qui souvent rouillent dans les bureaux des DRH, malgré tous leurs efforts d’opérationnalité.
Alors est venu le temps des questions : éducateurs, formateurs, psychologues, sociologues, cogniticiens… ont saupoudré leur pincée de doutes sur l’outil GPEC : qu’entend-on par emploi ? le contenu d’un métier et celui d’un emploi sont-ils confondus ? faut-il abandonner la logique de poste ? comment s’acquiert les compétences ? gère-t-on les compétences acquises hors du champ du travail ?
Mais au fait, qu’est-ce qu’une compétence ?
Un diplôme, disent les uns, des savoirs, disent les autres, une combinaison de savoirs entend-on encore… Comment utiliser un mot dont les termes sont à ce point polysémiques ? Comment utiliser ce concept ? Comment mesurer une compétence ? Comment voir la compétence ? Comment les outils GPEC mesurent-ils cette variable ? Qu’est-ce que par exemple, savoir s’impliquer ? Comment cela s’apprend-il ? Comment pouvons-nous le mesurer en situation de travail ?
L’Education Nationale en 1972 tente d’éclairer le débat en travaillant sur les référentiels de diplômes et propose une compétence faite de 3 types de savoirs : le savoir, le savoir faire et le savoir être. Si savoir et savoir faire trouvaient des indicateurs de résultats tangibles, le savoir être en revanche restait (et reste encore) bien énigmatique…
Il faudra attendre 1998 pour que lors des journées internationales de la formation scientifique, syndicats et employeurs s’entendent sur une définition opérationnelle de la compétence. Aujourd’hui la GPEC a plus de 30 ans, force est de constater qu’elle n’a pas répondu aux besoins des organisations dans sa partie « aide à la décision prospective en matière d’emploi et de compétence ». Son plus gros échec reste la gestion des enfants du babyboom. Il a fallu attendre 2004 pour que les organisations prennent conscience du départ de leurs séniors. La relation stratégie d’entreprise et gestion des ressources humaines reste à établir dans la majorité des organisations.
Cette grande idée qu’est la GPEC aura cependant eu le mérite de nous faire nous interroger, de mieux cerner ce que pouvait être une gestion vertueuse de la Ressource Humaine, de tester ou d’adapter de nouvelles façons de faire sans permettre il est vrai de les mettre en synergie dans un modèle unique, transférable à tous. 30 ans se sont écoulés et les contextes qui président aux concepts de la GPEC ont changé. La difficulté n’est plus aujourd’hui de répondre par la catégorisation des emplois et des compétences pour s’assurer des avantages concurrentiels ou créer des dispositifs de formation adaptés. Il s’agit aujourd’hui :
- D’identifier et de conserver les savoirs stratégiques des organisations
- De fidéliser les porteurs de savoirs
- De transférer les savoirs dans le cas du départ d’un sénior
Si une démarche compétences est utile aujourd’hui, elle l’est certainement par rapport aux « Porteurs de compétences » lesquels soit se retrouvent isolés dans lieux d’expression de leurs compétences (pertes d’emploi) soit décalés, presque en échec, dans un nouvel emploi très éloigné de leur expérience professionnelle. Ce constat pourrait avoir des conséquences dramatiques si les organisations employeuses ne s’inquiètent pas avec l’ensemble des intéressés (partenaires sociaux, organismes de formation, financeurs : Etat, région, département, et salariés) de la maintenance des savoirs et cela même en dehors des organisations de productions de biens et de services.
Y’a-t-il d’autres voies pour demain ?
Les faits ont montré :
- Que nous ne pouvons pas gérer des compétences et des emplois indépendamment des êtres humains et des outils et processus de production mis à leur disposition
- Que les individus sont seuls porteurs de leurs propres compétences
- Que ces individus aiment à montrer, démontrer et partager leurs compétences si ces dernières sont attendues, reconnues et dynamisées par l’organisation dans laquelle elles s’expriment
- Qu’un être humain n’est pas n’importe quelle ressource et que sa protection, sa sauvegarde relèvent d’une véritable écologie mentale
- Qu’il est de la responsabilité des équipes dirigeantes d’entretenir sa ressource humaine, en partenariat direct avec les porteurs de compétences qu’elle héberge pour un temps
D’où la nécessité d’aller vers une « gouvernance des savoirs ». Si comme nous l’ont dit les années 90, « la richesse d’une organisation, ce sont les femmes et les hommes qui la composent », cette richesse, dans sa diversité est aussi celle de notre société toute entière : maltraiter un ou plusieurs de ses éléments, c’est à termes détruire l’ensemble des compétences collectives de notre patrimoine. Ce patrimoine, cette ressource que nous accepterons de développer et d’entretenir comme n’importe quelle ressource vivante et rare, peut être capitalisé. Cette richesse humaine, énoncée en savoirs clé dans nos organisations se devrait d’être présente dans les bilans aux mêmes niveaux que les progrès, les performances et les bénéfices financiers auxquels elle participe. Ce n’est, à notre avis, qu’à cette condition que ce capital, analysé en termes d’opportunités et de risques pour l’avenir de la société et des individus qui la composent, pourra devenir un élément significatif dans la stratégie des organisations.
Michel LEBELLE, ingénieur cogniticien, experte en Innovation RH et architecte des relations humaines
Pour avoir un aperçu de la gestion de l’importance de la gouvernance des savoirs, participez à notre Apéro du Management du 29 mars prochain ! Pour en savoir, contactez Emilie (emilie@adesidees.com / 01 46 34 85 04)
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